Coming out. Showing off. Freaking out.

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Il en est de certains événements et de certains débats comme de la création de nouveaux impôts ; De manière inéluctable et régulière, ils s’abattent sur le monde, et vous devez serrez les dents et faire face. Et tels ces taxes absconses, nous ne nous rebellons même plus contre, nous nous laissons porter, et nous ne comprenons même plus quel est leur but premier. Mais elles sont nécessaires. Juré. Regardez, je crache.

L’arrivée de l’été est l’occasion pour moi de voir ressurgir un de ces moments durant lequel je me sens à contre-courant. Ne vous méprenez pas, je me sens toujours plus ou moins à contre-courant de tout le monde, et systématiquement à contre-courant de quelques uns. Mais là, la pression sociale et bien pensante se fait plus intense. Cette année, la Gay Pride, ou encore Marche des Fiertés, se déroulera le 25 juin à Paris. Cela fait partie intégrante des festivités lançant l’été. Qu’on s’en agace, qu’on s’en amuse, ou qu’on s’y implique, ce défilé est une obligation. Alors, quitte à subir, autant comprendre.

Dis, Papy, qu’est-ce que la Gay Pride ?

La Gay Pride (Fierté d’être gay) est une manifestation silencieuse (elle n’a pas un but défini et objectif comme l’abrogation d’une loi), ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fasse pas du boucan, dans la rue, ou du bruit, dans les médias. D’aucunes mauvaises langues pourraient constater que la date choisie est parfaite pour exhiber des corps nus en pleine rue sans risquer une pneumonie, mais il faut rendre justice à la vérité. La Marche des Fiertés célèbre ainsi l’anniversaire des émeutes de Stonewall. A la suite de raids policiers violents, la communauté gaye new-yorkaise s’est, pour la première fois, unifiée et rebellée.

Le but de celle-ci est de revendiquer la liberté et l’égalité de tous, quelque soit son orientation sexuelle. Puis, le terme a été élargi et elle a été renommée LGBT - Pride, LGBT voulant dire Lesbien, Gay, Bisexuel et Transgenre. Elle a finalement été renommée Marche des Fierté en 2001. Non pas que les organisateurs se soient rendus compte que les nains noirs juifs en fauteuil roulant préférant les roux manchots avaient le droit aussi à une place dans le défilé. Non, mes braves, plutôt que penser à l’importance d’arrêter toute discrimination sexuelle, nos organisateurs charitables ont préféré s’intenter des procès réciproques pour marque déposée à propos de ce nom. D’où le nouveau nom, car apparemment leurs petites fiertés individuelles comptent plus à leur yeux que leur combat pour l’égalité. Joli glissement sémantique. Chacun jugera. Les associations gayes sont ultra politisées, mais ce ne sera pas le débat du jour, aussi vomitif que soit le concept.

Dans les faits, il s’agit d’une sorte de mélange entre le carnaval de Rio, (car c’est une fête !), une manifestation politique avec banderoles et hurleurs de la CGT, et une protestation digne. Vous pourrez y voir donc, pêle-mêle (et exemples réels), des hommes politiques demandant le droit au mariage, des mères soutenant leur enfant accablé par la société, des hommes nus secouant leurs parties génitales devant les passants, des représentants de corps de métiers voulant montrer qu’ils ne sont pas invisibles, des êtres humains indéterminés se pelotant et s’embrassant, des affiches demandant la fin des discriminations, d’autres proclamant « CE N’EST PAS PARCE QU’ON S’ENCULE QU’ON NE PEUT PAS ELEVER UN ENFANT », des publicités géantes pour les commerces qui ont financé la marche… J’en passe, des plus sérieuses, des plus touchantes, des plus choquantes, des plus drôles.

Parce que dans le fond, ce que ce défilé montre, c’est bien que les gays (et les Lesbiennes, et les Bi, et les Trans, et… le nain black juif en fauteuil roulant aimant les roux manchots, là bas, au fond) sont effectivement comme tout le monde : Globalement cons et médiocres et différents les uns des autres dans leurs comportements comme dans leurs aspirations.

Tout cela est bel et bien, mais pourquoi une réaction aussi épidermique ?

Pas bien !

Les gays subissent toutes sortes de discriminations, et ce tout le long de leur vie. Relations familiales, relations amicales, embauche, relations professionnelles, rien n’est pareil pour eux. RIEN. Même le vocabulaire s’associe aux habitudes discriminantes crasses. Dites « un travail d’arabe », et vous avez la Halde sur le dos (et à raison). Dites « Mais quel enculé ! », et si vous en faites la remarque, on vous répondra avec suffisance que ce n’est qu’une expression, et oh, il ne faut pas le prendre mal. Ou pire, on vous regardera l’air navré, la main sur la bouche, susurrant un mielleux « Oups, je ne disais pas ça pour toi ». Dites à un collègue juif « Mais ta copine, elle est juive AUSSI ? » et on passe pour un rustre à tendance antisémite ; Par contre, dire « Ah, c’est un copain que tu as ? » se continue naturellement par un « Non, non, pas que ça me gêne, mais c’est juste que je m’y attendais pas ». Personne ne prend la discrimination homophobe au sérieux. Les gays eux-même utilisent dans certains milieux le terme « pédé », et quand on leur en fait la remarque, répliquent que « eux ils ont le droit ». Non. Une insulte reste une insulte. Mais au dela de ça, j’insiste, la plupart d’entre vous qui avez lu « toute sorte de discrimination tout le long de leur vie » ne s’imaginent même pas à quel point. En permanence. Violemment. Alors que faire contre cela ? Comment se battre ?

Et là intervient la Gay Pride. Pour certains, se montrer, prouver qu’on existe. Revendiquer des droits. Les gays, rejetés et se sentant différents des hétéros, finissent par ne plus voir personne en dehors de leur petit monde sécurisé et loin des tracas. Cela ressemble à une longue crise adolescente, là où on veut choquer ses parents pour finir par être accepté comme adulte à part entière. Et donc une partie choque durant cette marche. Bienvenue, strip-teaser indécent.

D’autres choisissent de déclarer « Je suis comme ça ». Ils ont des affiches, ils marchent avec leurs parents qui montent des associations pour aider les « jeunes parents » d’homosexuels. Ils veulent pouvoir vivre avec le compagnon qu’ils ont choisi, et que l’Etat, ou leurs voisins n’aient pas à mettre le nez dans cette affaire privée.

D’autres encore rejettent ce modèle en bloc : Déclarant la guerre aux normes sociales définies in fine par la religion et dans le but de la procréation, ils ne demandent rien, mais s’affirment comme se ficher de ressembler au modèle hétérosexuel classique.

Leur but commun : Que la masse des gens captent une partie de leur message.
Et là vient le drame de la communication. Qu’est-ce qui se passe quand nous tentons de parler à quelqu’un ? Il y a d’abord ce que nous voulons dire ; Cela est différent de ce que nous disons réellement, car il faut mettre des mots, des concepts, pour formaliser cette pensée. De ce que nous disons, notre interlocuteur prendra ce qu’il voudra entendre. Puis enfin ce qu’il en aura compris. Dans la communication médiatique, on rajoute un filtre supplémentaire, celui de ce que le média choisit de montrer.

Décryptons donc ensemble une Gay Pride. Le message voulu est « on a le droit d’être différent ». Il est exprimé de manières tellement différentes qu’on ne peut parler de vraie communication. Imaginez un rassemblement de profs pendant nos traditionnelles grèves criant chacun dans leur coin un message différent d’une manière différente… Premier échec.

Mais soit. Et que montrent donc les médias ? Un pervers montrant sa verge. Non, ne cherchez pas les associations de parents en reportage sur TF1.

Bien. De là, plusieurs possibilités.

  • Le spectateur est plutôt tolérant, voire impliqué. Il cherchera à savoir ce qu’il y a eu d’autre. Il saura que c’est une caricature et une manipulation télévisuelle. La Gay Pride peut le convaincre que les homosex…. Oh. Attendez, on vient de dire qu’il était déjà convaincu. Bon, ça n’a servi à rien donc.

  • Le spectateur est neutre, et connait même peut-être une personne ou deux gayes, et il ne voit pas vraiment la différence avec ses autres amis. Il voit le reportage… Et se dit qu’il a bien de la chance d’avoir hérité d’un gay normal, lui. Il n’a rien contre, mais quand même, ma bonne dame, se montrer nu devant tout le monde, dont des enfants ! Non, vraiment, aucun problème avec l’homosexualité, mais cette parade est ignoble ! Bon, la Gay Pride est donc une erreur. Voire pourrait le convaincre que son ami est l’exception, et que les différences de droit sont justifiées.

  • Le spectateur est homophobe. Il se dira « Tiens, encore ces tafioles perverses qui se montrent en spectacle et pervertissent nos enfants ». La Gay Pride n’aura qu’une conséquence : L’enferrer dans son jugement.

Alors, la Gay Pride, un instrument d’acceptation ? Mais dans quel monde peut-on objectivement le penser ? Ah, mais quand tu es gay, tu es OBLIGE de le penser. Sinon on te dit, au choix:

  • Que si tu as l’impression que les gens réagissent mal c’est que tu ne traînes qu’avec des gens du FN, et que dans le vrai monde, les gens aiment bien (alors à quoi ça sert si le monde est déjà convaincu ?). Ou au contraire, que si tu as l’impression que le monde l’accepte plutôt bien et que ce n’est pas nécessaire, que tu vis sur une autre planète, dans le microcosme parisien, et que dans la vraie vie, en province, les gens, hein, elles sont homophobes. (Euh, tu viens de me donner l’argument inverse contre moi il y a 15 secondes, et en plus, si elles sont homophobes, comment leur donner raison en leur montrant des images choquantes les aidera à changer ?).

  • « Alors, oui, mais bon, c’est l’occasion de faire la fête ! ». Oui, créez un carnaval de l’été ouvert à tous, et non sexualisé, et amusez-vous !

  • « Tu oublies les Transsexuels ». Ah oui, tiens. Qu’est-ce qu’ils (elles) foutent là, déjà ? Le gay revendique le droit (plus ou moins) de tomber amoureux d’un personne de même sexe et vivre avec. Il parle sexualité. Le transsexuel, il revendique le fait de ne pas avoir le même sexe mental et le sexe physique, et le droit de chercher à réparer cette erreur. Il parle identité. Quel rapport ? Vous savez qu’il existe des transsexuels hétérosexuels, mais aussi des transsexuels homosexuel ? Imaginez ces pauvres personnes. Avoir un corps de garçon alors qu’elles sont des filles, en vrai, et en plus tomber amoureux d’une fille ! Et bien, les transsexuels sont majoritairement rejetés… par les gays. Oui, on le saurait si avoir été discriminé te faisait réfléchir et t’empêchait de le faire aussi !

Alors, désolé, mais si les transsexuels ont une légitimité dans la marche car ils sont fiers d’être debout face à la discrimination, pourquoi pas les blacks, les maghrébins, les juifs, les bretons, les roux, les petits, les gros, et j’en passe ? Le combat des transsexuels est JUSTE et IMPORTANT. Mais ce n’est pas la place. Et en plus, leurs revendications sont peu entendues, camouflées sous le poids écrasant de la communauté gaye. Double mauvais point pour l’utilité de la Gay Pride pour les transsexuels.

  • « La Gay Pride, c’est important pour les jeunes gays qui se croient seul, que non, ils sont entourés ». Rassure toi, John, tu viens de te rendre compte que ce n’est pas que de l’amitié que tu ressens pour David, ton meilleur ami, et tu es perdu, tu penses être un monstre. C’est faux. Regarde TF1, nous sommes comme toi, toi aussi devient pervers et secoue donc tes attributs en faisant des doigts d’honneur à la caméra ! Tu ne seras plus jamais seul ! Euh, sinon, bon, euh, ce n’est plus les années 90, hein. Etre gay, c’est à la mode, à la télé.

  • Donc il ne reste que trois hypothèses. La Gay Pride, c’est de la fierté mal placée. C’est uniquement se montrer différent. Et emmerder le monde. Ou alors c’est issu de gens trop cons pour comprendre que c’est totalement idiot et inutile, et improductif. Ou des gens qui s’en foutent, en vrai, et qui ne voient que le plaisir de l’instant présent.

Voila le message de la Gay Pride, sans moraliser. Les gays ont le droit d’être différents.

Alors, me demande-t-on, subir en baissant la tête ?

Bien !

C’est oublier le message essentiel que je me suis toujours attaché à faire passer. Les gays ont le droit d’être pareils.

Ceci posé, je dis « ils » depuis tout à l’heure, mais bon, je suis gay, il faudrait que je m’implique. Ah, tu ne le savais pas ? C’est normal (par contre, tu es vraiment en minorité, là). Ce n’est pas écrit sur mon front. Ça fait longtemps, j’ai attrapé ça en même temps que mes yeux verts, alors à la longue, ça ne se remarque plus trop. Depuis 30 ans, tu penses ! Tu le savais ? C’est tout aussi normal, ne te sens donc pas privilégié, cela fait bien longtemps que j’ai arrêté de le cacher. Je ne te juge pas parce que tu préfères les blondes, ou que tu n’as jamais trouvé les peaux noires attirantes. Tu ne me l’as d’ailleurs peut être jamais dit. Il n’y a aucune différence. AUCUNE. Et c’est comme cela que je le vis.

Et le bilan ? Je vis dans le monde de Candy ? Je kiffe les ratons-laveurs ? Non. Je suis discriminé en permanence, de manière consciente ou insconsciente. La famille, les amis, le travail… Quelle différence alors ?

Et bien, en montrant que je suis comme tout monde, que je travaille, que je ris, je pleure, je tombe amoureux, je me mets en colère, je vis, je montre au quotidien que je suis un être humain. On sait que je suis gay parce qu’on m’a posé la question directement, parce qu’on a vu la photo de mon compagnon sur mon bureau, parce qu’on ma demandé le nom de ma copine (« C’est un copain, et il s’appelle… » Bon, je suis célibataire, je vous emmerde, mais vous voyez l’idée) Et c’est particulièrement sensible au travail, puisque c’est un endroit ou nous sommes « obligés » de fréquenter les autres. Et des gens avec une homophobie latente (ou pas), j’en ai croisé. Des cons qui ne changeront pas d’avis, dans le lot, certes. Des gens qui ont changé d’avis, plus. Beaucoup plus. La plupart. Des gens qui au fur et à mesure, sont passés de « Tafiole, c’est qu’une expression » à « Oups, désolé, je ne disais pas ça pour toi (ne dites JAMAIS ça, c’est pire encore) », à très vite… de moins en moins d’expressions toutes faites. Jusqu’à l’éradication totale de ce vocabulaire qui ne devrait pas exister, pour certains. C’est plus difficile pour les gens du sud, mais j’y travaille.

Les gens que je fréquente, et qui me voient au quotidien, votent ; elles ont des amis qui tiendront des propos déplacés sur les gays, et les meilleures d’entre elles se lèveront et leur expliqueront qu’ils se trompent. C’est du personnal branding ET du marketing viral.

Les gens qui m’aiment m’aiment parce que je suis charmant, ou drôle, ou intéressant, ou gentil, ou généreux. Les gens qui ne m’aiment pas devraient ne pas m’aimer parce que je suis repoussant, sans humour, chiant, méchant, égoïste. Pas pour le sexe de la personne de qui je tombe amoureux.

Et si c’était ça la solution ? Chacun à notre échelle, prouver que nous avons une place dans la société. Et en commun, éventuellement, défiler. Silencieusement, et solennellement. Sans char. Sans mec nu. Sans promotion marketing. Sans conflit politique interne. Avec les mères de gays qui racontent leur cheminement pour accepter. Avec les couples de gays qui sont ensemble depuis 24 ans et qui travaillent dans la banque, à la poste. Avec des hommes politiques qui n’ont pas peur d’attraper l’homosexualité par l’intermédiaire de la respiration. Avec des gens posés qui expliquent la démarche aux journalistes.

Et si j’étais fier de cette initiative plutôt que de marcher dans la rue ?

Alors oui, je ne suis pas un garçon funky. Oui, je propose quelque chose de rébarbatif. Et de quotidien. Mais c’est cela, un combat. C’est sale, c’est long, c’est difficile, et ce n’est pas envieux.

Et pour ce combat, je me bats contre ceux que je veux voir changer. C’est dur. Je me bats en permanence contre moi même, vous ne connaitrez jamais cette difficulté dans votre vie rangée hétérosexuelle. Mais en plus, je dois me battre également contre la communauté gaye, et la Gay Pride. Et ça c’est du gachis.

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Inaugurons une nouvelle section de ces formidables articles dont je régale petits et grands, et commençons du coup, fort.C'est le premier...… Lire la suite →

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Publié le 10 octobre 2012