Il est parfois étonnant de constater comme les événements peuvent se téléscoper après que tout a été calme pendant un long moment. Le ressac de la vie semble alors plus fort, plus vivant, plus inique. Cela faisait une année que je n’avais pas fait le point sur ce monde qui s’agite autour de moi à l’écrit, et je retardais l’échéance d’autant que le plus fort de la vague n’était pas passé. Maintenant que cela est, il est temps de goûter le résultat. Une douche tiède, car mélangeant le chaud et le froid, amère, mélangeant sucré et salé, grise. Indéterminée. Si ce qui me gêne le plus dans la vie est le vide et la mort, le non-choix et les issues moyennes en sont souvent les tristes avatars.
Dans la vague, j’y suis encore. Dans le vague aussi. Mais il s’agit de gérer les conséquences, et je n’ai jamais été bon pour réagir à froid, posément. La force de l’argumentation, c’est la raison mêlée à la passion.
J’ai donc appris en début de semaine que je n’étais pas retenu pour un poste que je briguais. Avant que ne s’exclament les esprits chagrins, il s’agissait d’un poste dans la même société qui m’emploie actuellement, et à laquelle je reste très fidèle ; Pire, contrairement à beaucoup, je n’ai pas d’envie directe ou particulière de quitter mon service actuel. Toujours est-il qu’il faille bien reconnaitre quelque chose : Si je trouve mon travail épanouissant, gérer un échantillon de belles gens à un niveau plus décisionnel me manque. Je pensais pouvoir proposer ce que je suis et ce que je suis prêt à accomplir, et les gens qui me lisent et me connaissent savent ce que cela peut représenter, dans un autre service, et finalement, une nouvelle branche d’aptitudes que je n’avais pas encore abordées, ou si peu. Ainsi donc postule-t-on pour un poste de Manager dans l’équipe de traduction. Traduire, soit, je sais faire, et je manie suffisamment le verbe que cela soit plaisant. Mais traduire professionnellement ? Allons, quand bien même j’aurais été le responsable de traducteurs, et non pas traducteur directement, mon crédo reste valide : On ne peut diriger des gens sur une tâche qu’on ne connait pas. Je me suis donc préparer à un refus d’une part, mais également à des centaines d’heures de travail prises sur mon temps personnel, divisant ma vie en deux parties: Celui qui gère, celui qui apprend. Ceux qui vivent et qui dorment n’auraient pas vraiment eu leur place au début, mais bon, c’est pour leur bien !
J’apprends bien. J’apprends vite. Je m’investis. Et plus que tout, je sais diriger des gens. Je me suis lancé, j’ai séduit, je suis arrivé loin, j’ai fait douter… Mais le couperet tombe toujours là où on se sait le plus faible : Je n’ai pas d’expérience professionnelle dans la traduction. Je n’aurai donc pas d’expérience professionnelle dans la traduction, a priori. On apprécie au demeurant mes autres facultés, et j’ai été loué par mes responsables, et ce jusqu’à très haut dans la hiérarchie (!!). Cela reste difficile à avaler, et si j’ai retardé un bilan sur ma vie en raison de cette éventualité de changement de carrière, j’admets fort volontiers que j’aurais préféré une réponse positive pour m’en épancher ici. Je reste heureux de mon travail actuel, mais déçu d’y rester, paradoxalement. Un résultat en demi-teinte.
Comment me sens-je ? Je ne sais pas trop. Il s’agit d’une expérience nouvelle pour moi, et toute nouvelle expérience aide à avancer. C’est drôle, en y réfléchissant : 31 ans, des dizaines de candidatures différentes, des dizaines de CV, de lettres de motivation, d’entretiens… Et le premier refus que j’ai jamais essuyé. Je ne suis pas habitué à l’échec. Je l’anticipe, mais je ne le vis jamais. J’étais cet élève énervant, qui sincèrement, mais de manière horripilante, sortait de classe en disant avoir « absolument tout raté », et qui revenait la semaine suivante reccueillir un 18/20.
Une nouvelle expérience ; la veille, l’espoir, le lendemain, l’assurance de l’échec.
« Ah, si j’avais fait cela… », « Ah, si j’avais dit ceci ! »… autant de poncifs éculés et pourtant si prompts à revenir à notre bouche. Et si…
Et si je m’étais concentré sur ma vie affective ? Le train-train quotidien masque une vérité profonde : Les relations s’effritent et changent, et la transition entre le couple neuf de la première année, et le couple utilisé des suivantes, est risquée et tendue. Cela fait quelques semaines que je me pose maintenant la double question. L’aimé-je encore autant ? M’aime-t-il toujours de la même façon ? Autant la première partie a été — surprenamment — vite expédiée au cimetière des questions dignes de La Palice, autant la suivante s’est avérée plus subtile.
Ne pouvant nier l’attachement indubitable obligatoire pour me supporter au quotidien, quand bien même il s’agirait là de l’expression confuse d’un Syndrome de Stockholm, l’interrogation s’est cependant parée d’atours subtils et effrayants. Peut-on s’aimer mais ne pas pouvoir vivre ensemble ? Peut-on avoir des attentes différentes, de l’autre comme de la vie ?
Un jour, la question se doit d’être posée, et une fois cela fait, on risque d’obtenir la chose la plus difficile à entendre du monde : Une réponse. Et ensuite, et bien, tout sera différent, jamais plus rien n’est pareil. Car si la question mérite d’être posée, c’est souvent qu’on s’attend à une réponse moins évidente qu’on le souhaiterait.
La soirée Hallowwen de cette année commence à 19h30. Par contre, on ne veut pas que ton homme vienne.
Viens manger à la maison pour fêter mon départ. Chez moi c’est petit, donc ton copain reste chez vous quand même.
Autant de phrases assassines qui me feraient personnellement réviser les raisons de mon attachement à ces « amis » qui ne seraient pas capables de respecter mes propres choix de vie. Autant de chantages du quotidien que j’ai de toute façon pour principe de rejeter à la défaveur du novice-chanteur. Autant d’occasions de prouver à celui que j’aime qu’il est plus important pour moi qu’un inconnu cotoyé autour d’un bon mot et d’un verre d’alcool.
C’est ma vision personnelle du couple, parait-il. J’assume penser que toute insulte, même indirecte, faite à celui qui occupe mes pensées et partage ma couche m’est personnellement adressée. J’assume considérer que n’avoir et ne voir son partenaire qu’une fois rentré tard le soir, sur la descente de lit, ne constitue pas un couple, mais justement son absence ; A peine la superposition de deux solitudes, ou le confort sauvage du sextoy qu’on range bien vite dans un tiroir pour ne pas risquer de percuter le champ de vision de ses connaissances et amis. On peut demander à ce que quelqu’un éloigne son chat ou son chien, par peur de la bête ou pour cause d’allergie. On n’éloigne ni mari, ni femme ni enfant dans ma vision du couple. Et je l’assume. Alors, est-elle partagée ?
La veille tout ira bien jusqu’à cette discussion, et le lendemain matin, tout sera différent. Changé à jamais, quelque soit la réponse obtenue.
Alors on reconstruit ce qui peut l’être, on concède, on attend pour voir. Et on verra, l’année prochaine… Quand l’amour est là, il ne devrait pas y avoir de problème, si ? Cet événement ponctuel, qui arrive bien mal à la vue de mes autres pépins domestiques, ne devrait pas ternir le bonheur de cette année passée, n’est-ce pas ?
J’aurais peut-être pu éviter de mettre le sujet sur le tapis, mais, notre relation pourrait s’en sortir plus forte, plus pure, plus à l’image des émotions ressenties. Différente.
Je me suis dessiné sur la fin de l’année un parcours plus chaotique que l’autoroute sur laquelle j’étais engagé. Il n’y a pas de retour en arrière, chaque acte, chaque questionnement change irrémédiablement le chemin que l’on parcourt ; et si l’on peut regarder en arrière en soupirant et refaire le monde, refaire son monde, ne pas oublier…
Tous les matins du monde sont sans retour.